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mercredi 15 avril 2009

Florent ROINA la plume à la boutonière

Article extrait de la revue PIC-INTER numéro 296 et daté de Janvier - Février 2006



"Au coeur du Marais à Paris, l’atelier Roina attire le chaland. A la suite des stars, de la haute couture au show-biz, en passant par les créateurs, des dizaines de curieux battent chaque jour la semelle devant cette enseigne. Explication : ils viennent tous pour la boutonnière de Florent Roina.

La saison n’invite pas à la flânerie,mais dès l'ouverture, l’atelier Roina est déjà plein : Des femmes, des hommes, des adolescents, des touristes attirés par la renommée de cet artisan et intrigués par l'animation de l’endroit, incontournable dans ce quartier du Marais. «Beaucoup viennent pour une simple boutonnière, d’autres pour le cloutage d’une ceinture ou la pose de pressions pour faire de leur sac un objet unique. Ce n’est pas ce qu’on appelle la customisation ?»

Florent Roina, 30 ans, est le patron des lieux et représente la deuxième génération des boutonniéristes du quartier. «C’est mon père qui a débuté l’activité. Je suis aujourd’hui le seul sur toute la France». L'aventure a débuté en 1970 avec l'installation du père de Florent, Willy Akselrad, d'origine polonaise, venu rue Charlot pour ouvrir un atelier de boutonniériste dans ce haut lieu de la confection. Actuellement, un quartier en voie de «boboïsation». «Après des études de Math, j’ai repris l’atelier où je venais régulièrement pendant mes vacances scolaires. C’était en 1995, j’avais 20 ans. J’ai tout appris sur le tas». Et il faut, paraît-il, des années pour acquérir le doigté, maîtriser l’outil, assimiler les matières. «Deux ans pour devenir un bon professionnel et aucune école n’apprend cela».

LES BOUTONNIERES DES ROIS MAUDITS

Florent Roina voit son travail d'artisan plutôt comme celui d'un artiste. Son atelier reflète d'ailleurs cette vision : ça sent bon l’huile à lubrifier, les murs sont ornés de fils multicolores et de tableaux parés de dizaines de clous différents, tout y est sobre, mais fonctionnel, sans garniture inutile. Florent, penché sur une antique machine couleur pistache, explique en quelques mots son travail. «Il ne faut pas confondre ce métier avec le boutonnier. Il confectionne les boutons, tandis que moi je leur ouvre le passage en découpant les petites fentes sur les vêtements». Tout un art ! Florent ne se contente pas de découper, il pique, brode, cloue. «Faire une boutonnière dans les règles de l’art, c’est très difficile». Quand on sait que Florent Roina a réalisé toutes les boutonnières des costumes pour la série «Les Rois Maudits», on imagine la tâche. À notre époque où tout le monde se préoccupe de marché et de rentabilité, Florent Roina perçoit le rôle de l'artisan comme complémentaire de celui de la production de masse. «Le défi des artisans sera de produire sur demande soit des prestations, soit des objets uniques pouvant satisfaire les besoins spécifiques de ceux et celles qui ne trouvent pas, dans la production en série, les qualités recherchées». Les artisans ont en effet un rôle majeur à jouer dans la création et aucune industrie ne pourra les remplacer. Florent Roina serait-il un visionnaire ?



«Je travaille pour les particuliers mais aussi pour la haute couture, les créateurs, les façonniers, le clergé, l’armée, la Garde républicaine, le cinéma...». Dernièrement il a réalisé les boutonnières d’une chemise à huit manches : «deux manches pour les bras, deux pour les jambes, deux en guise de ceinture et deux en guise d’écharpe.Ah ces créateurs !», lance-t-il avec un large sourire. Il a recouvert un perfecto de 2 400 clous pour un client célèbre dont il tait le nom. La discrétion fait partie de ce métier précieux. Précieux, c’est le mot quand on sait que cet «orfèvre» peut immédiatement rectifier une boutonnière mal faite sur une veste vendue la bagatelle de 15 000 € dans le triangle d’or parisien de la haute couture. «J’ai la réputation d’être un magicien». Ce magicien a aussi fixé des rondelles de métal sur des casques de soldat pour un film récent. On peut affirmer que cet artisan a le sens de la diversification : «Indispensable si on ne veut pas disparaître».

ENTRE LE CISEAU ET LA PLUME

Penché à 90° sur son antique machine, Florent entaille. Il joue avec virtuosité de ses ciseaux. Le geste est sûr. Il fait partie de ces artisans qui ont une passion commune, celle de la belle ouvrage. Créatifs, ils perpétuent les savoirfaire traditionnels,tout en s'adaptant aux innovations de la mode. C'est de cette passion que sort toute la production réalisée selon des techniques immuables depuis des décennies. Au fil des ans, l’atelier Roina a élargi son offre avec près d’une dizaine de prestations : boutonnières simples ou brodées, piqué bord point sellier, point puce, oeillets simples ou brodés, anneaux de rideaux, boutons recouverts, pose de pression, cloutage, broderies d’initiales... Pour l’aider, sa fidèle collaboratrice Marcelle, 58 ans, ancienne fabricante de sacs. «Deux c’est suffisant pour le moment, bien que mon activité ne soit pas saisonnière. J’ai du travail toute l’année. Je ferme mon atelier un mois, en août».

Ce jeune boutonniériste ne se contente pas d’être un artisan un peu magicien, en plus il versifie et il écrit. «Tout petit, j’avais la plume facile. Je lisais beaucoup sans tout comprendre. J’écrivais des poésies qui ne voulaient rien dire comme des tableaux abstraits. Aujourd’hui, mes poèmes sont remarqués». Le poète, distingué deux fois au concours de la RATP dans la catégorie les 100 plus beaux poèmes de la décennie, a eu le plaisir de voir cet étonnant quatrain affiché partout dans le métro : «J’allais oublier / L’éphémère beauté / De compter jusqu’à un / Pour celui qui n’a rien». Lorsqu’il rentre chez lui le soir, il continue a noircir des pages blanches. Mais il ne se voit pas écrivain à temps complet : «il faut que je sois dans la vie».

Florent Roina croit beaucoup en l'attrait des métiers traditionnels comme celui qu’il exerce. Une activité symbolisant le retour aux sources et qui rencontre la faveur du public. «Mes nombreux clients sont fidèles à 95%».Audelà de son travail et de l’écriture, Florent Roina a une autre marotte, sa famille. S'il peut manquer de temps pour mener tous ses projets à terme, quoiqu’il arrive, il quitte l’atelier à 18 h. «Je refuse de faire des heures impossibles. Je veux profiter de mon épouse et de notre enfant». Il peut prendre un peu de repos, son savoir-faire est unique en France et les clients qui franchissent le seuil de sa porte lui disent : «Chez vous, on est bien». L’artisan-poète est étonné lorsqu’on lui demande son chiffre d’affaires. «Je ne m’en rappelle plus, j’étais en train d’imaginer un nouveau poème», indique ce personnage rayonnant.



NOM : Atelier Roina.
DATE D’OUVERTURE : 1970. Repris en 1995. PARTICULARITE : seul artisan boutonniériste de l’Hexagone.
SALARIE : 1
JOURS ET HEURES D’OUVERTURE : du lundi au vendredi de 8 h 30 à 18 h.
QUELQUES PRIX : à partir de 2 € la pièce. Exemple : 3 800 € pour poser deux milliers de clous sur un vêtement."


L'original de cet article est disponible ici.

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